Tunisie : Vol de richesses, puis de révolution d’un peuple, devant témoins
Tout porte à croire que ce mouvement populaire, parti de Sidi Bouzid, ne va accoucher que d’une souris. Notre peuple n’a pas saisi la chance qui lui était offerte de transformer son soulèvement en une authentique révolution et de faire de son rêve une réalité. L’erreur mortelle pour un soulèvement populaire serait de ne pas aller jusqu’au bout de son rêve et de ne pas refuser toutes les réformes proposées par les ennemis de la liberté. Tolérer les héritiers politiques du dictateur et négocier avec eux le destin de son mouvement, puis leur confier sa “révolution” – sous la pression de la direction de l’UGTT et toute une armée de pseudo-intellectuels, véritable police de la pensée- pour qu’ils fassent de ses rêves une réalité prouve qu’il n’a pas dépassé la conscience réformiste et qu’il a raté un rendez-vous avec l’histoire. Il n’a pas compris que la confrontation avec les ennemis se joue essentiellement sur le terrain de la communication. Il aurait dû priver l’ennemi de ses moyens de propagande ou s’inventer des moyens de communication de masse pour contrer sa propagande et réfuter ses mensonges. Les médias que les caciques du régime de Ben Ali prétendent être libres sont aujourd’hui leur arme principale. Ils diffusent à longueur de journée les mêmes mensonges: “la révolution a mis fin au régime de Ben Ali et tous ceux qui prétendent le contraire et disent vouloir poursuivre le mouvement sont des traîtres à la nation. Par la poursuite de leur mouvement ils vont arrêter la machine économique, empêcher les élèves et les étudiants de reprendre leurs études et plonger le pays dans l’instabilité et le chaos”. Ce sont les mêmes mensonges et la même tactique qu’utilise la contre-révolution partout où la conscience révolutionnaire fait défaut. Jusqu’ici la révolution dont parlent les ennemis de la liberté n’existe nulle part en Tunisie. Il n’y a eu que quelques réformes consenties par Ghannouchi et le RCD. De grâce, ne nous dites pas que ce “monsieur propre” a rompu avec son parti politique et qu’il est intègre et sincère. ce refrain sonne comme une insulte à notre intelligence, car tous les tunisiens savent que ce “monsieur propre” était, pendant deux décennies, le plus proche collaborateur du dictateur pilleur, celui qui assume le plus de responsabilité dans la politique répressive de l’État de Ben Ali.
Abdessalem Jrad, lui aussi, assume une lourde responsabilité dans la domestication de la centrale syndicale qui était censée servir de contre-pouvoir et défendre les intérêts des salariés et de tous les opprimés. Il n’a pas hésité, avec son équipe, à voler au secours de Ghannouchi et dissuader la centrale syndicale de s’opposer à la volonté et aux desseins de ce dernier. N’oublions pas que monsieur Jrad est sage et poli. Il connait ses limites et ne franchit jamais la ligne rouge que lui fixe le gouvernement: au RCD et Ghannouchi la politique et à l’UGTT le travail syndical sage et responsable qui ne doit, sous aucun prétexte, gêner la politique économique du gouvernement. C’était déjà la règle du jeu, qu’il a bien respectée, pendant toutes ces longues années à la tête de la centrale syndicale.
Aujourd’hui, il met, donc, la centrale syndicale au service de ce premier ministre illégitime et soutient son nouveau gouvernement. La centrale syndicale a changé de camp. Elle est désormais à l’avant garde de la contre-révolution.
Si le peuple tunisien ne prend pas rapidement son destin en main, tout ce qu’il aura récolté de sa “révolution du jasmin” sera une statue commémorant la “révolution historique” et l’élévation de feu Bouazizi au rang de héros national. Quand aux libertés, notre télévision nationale nous fournit la preuve de leur inexistence. Cette télévision distille sa subtile propagande pro-régime de Ben Ali de la phase 2 ( dit gouvernement d’unité nationale ou de transition) tout en glorifiant la “victorieuse révolution du jasmin”. L’élite pseudo-intellectuelle tunisienne, cette police de la pensée de Ben Ali, qui n’avait à la bouche que “le miracle économique et les acquis de l’ère nouvelle (مكاسب العهد الجديد)” a d’abord tenté de salir la révolte partie de Sidi Bouzid et de dissuader la jeunesse de s’y reconnaitre, puis constatant la faillite de son entreprise elle a soudainement décidé de la combattre par l’apologie et l’encensement, au moment où cette révolte avait besoin de la meilleure critique révolutionnaire pour la sortir de la crise, lui éviter la récupération et la faire avancer. Faire l’apologie d’une révolte, interdire sa critique et la déclarer “Révolution achevée” alors qu’elle n’était qu’à ses premiers balbutiements, équivaut à une sentence de mort à son encontre. Une nouvelle police de la pensée composée de pseudo-intellectuels dit indépendants et de gauche a fait son apparition tout récemment, et nous a lancé, elle aussi, le même odieux chantage: Ghannouchi ou la crise économique, l’instabilité et le chaos. Il sont en train de grossir les rangs de la police de la pensée déjà active du temps de Ben Ali.Tous les médias dans notre pays sont en train de maudire Ben Ali et les Trabelsi, mais jamais le régime légué par Ben Ali, symbolisé, aujourd’hui, par son premier ministre. Or, ce dernier ne rate aucune occasion pour nous fournir des preuves de sa fidélité à son maître et à son héritage politique. Après les fameuses communications téléphoniques avec Le président déchu, voilà qu’il nous surprend, encore une fois, lors d’une interview, récemment donnée à CNN. Les tunisiens ont pu remarquer dans la pièce où s’est déroulée l’interview, derrière Ghannouchi, la présence d’un portrait du dictateur. N’est-il pas une preuve supplémentaire de l’attachement de ghannouchi à son maître et à sa politique? Il peut toujours prétendre ignorer l’existence d’une telle photo, de la même manière qu’il a nié être au courant de la corruption des Trabelsi, lui qui a fréquenté le palais pendant vingt trois ans.
Nous réfutons l’argument largement répandu, selon lequel on est en train d’exagérer le rôle du gouvernement de Ghannouchi, qui n’est que provisoire, de transition. Nous savons bien qu’il n’est pas une finalité en soi, mais un simple moyen. Le problème c’est que, comme l’a dit HEGEL, les fins sont toujours dans les moyens.
Pour la première fois dans l’histoire, un régime politique reussit à déposséder un peuple de ses richesses, de ses droits humains, puis…de sa “révolution”!
Taïeb Bouraoui