Agrocarburants : les grandes manœuvres des éthanoliers autour de l’étude ADEME

Publié le par Desbabas

Voici un mail que j'ai reçu. Je ne trouve pas la source sur internet, donc le voici. Le texte est signé Patrick Sardones, de l'association EDEN. Il suit la question des biocarburants depuis longtemps déja.

Agrocarburants : les grandes manœuvres des éthanoliers autour de l’étude ADEME-IFP/ Bio IS
Suite aux contestations croissantes émanant des associations de défense de l’environnement concernant la validité des bilans énergétiques et effet de serre des filières de production d’agrocarburants publiés dans l’étude ADEME-DIREM 2002, pilier de la politique gouvernementale en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, l’ADEME a été contrainte de lancer une nouvelle série d’études sur cette question.
La première a démarré en Octobre 2007. Son objectif était de définir quelle est la méthodologie la plus appropriée qu’il convient d’utiliser pour établir les bilans énergétiques et environnementaux des filières de production d’agrocarburants, en comparaison avec les filières pétrolières. De haute lutte, le Réseau Action Climat – France a obtenu de représenter les ONGs environnementalistes au comité technique chargé d’encadrer cette étude, confiée à la société Bio IS. La délégation du RAC-F était composée de Pierre Perbos, administrateur, et Patrick Sadones, en charge du dossier des agrocarburants à l’association EDEN et à la Confédération Paysanne. EDEN est la première association à avoir relevé les graves anomalies qui émaillent le rapport de l’étude ADEME-DIREM 2002, et a commencé à publier ses analyses en 2005. En Août 2007, EDEN a candidaté à l’appel d’offre lancé pour sélectionner le prestataire de l’étude méthodologique sur les ACV des agrocarburants, en proposant une méthode permettant notamment de prendre en compte le changement d’affectation des surfaces. L’offre d’EDEN n’a pas été retenue, au profit de celle de Bio IS, moins disante.
Dés le commencement de l’étude, l’ADEME a ouvert un espace collaboratif Intranet destiné aux membres du Comité Technique (CT) et du Comité de Pilotage (CP) réunissant les financeurs. Cet espace devait permettre aux différentes parties prenantes de publier leurs analyses, réflexions et commentaires, et de les soumettre au débat, dans la transparence. Les représentants du RAC-F ont joué le jeu, publiant immédiatement divers documents et propositions de travail. Par la suite, tous nos commentaires sur les réunions successives du CT ont été publiés par le même moyen. A l’opposé, les éthanoliers n’ont jamais posté le moindre document, ni la moindre proposition, refusant d’exposer leurs arguments à la critique. Cette attitude a compliqué le travail du prestataire, et conduit à ce que le temps de réunion soit entièrement consommé par des débats entre les membres du CT, débat qui auraient pu se dérouler sur l’espace Intranet, les réunions du CT n’étant consacrées qu’à la validation des conclusions, et l’approfondissement de certains points. Il a fallu organiser une réunion de plus, et la publication du rapport de Bio IS accuse un retard de deux mois. En outre, nombre de points prévus dans le cahier des charges de l’appel d’offre n’ont pas été traités, ou très superficiellement, par le bureau d’études ( cf. ' Courrier aux membres du Comité de Pilotage ') .
Suite à l’ouverture de l’espace collaboratif Intranet, le RAC-F a posté le document ' Etude méthodologique ACV des agrocarburants : questions et propositions du RAC-F ', qui n’a suscité aucun commentaire… Bio IS a demandé aux représentants du RAC-F de venir au siège de la société pour discuter des propositions faites dans le document (cf. ' Compte-rendu de la réunion de travail du 8 Novembre 2007 entre Bio IS et le RAC-F ', publié également sur l’espace Intranet). Dans ces deux documents, le RAC-F conteste explicitement la façon dont a été appliquée en 2002 la règle d’imputation massique des coûts et émissions aux coproduits dans le cas de l’éthanol de blé, qui conduit à faire supporter aux vinasses de distillation la plus grosse partie de ces coûts, et tout particulièrement ceux des étapes fermentation et distillation de l’éthanol, alors que ces étapes ne concerne en rien la matière sèche non fermentescible qui constitue ces vinasses. Cette convention de calcul conduit à obtenir des bilans ' honorables ' pour l’éthanol, mais au prix d’une sur-allocation considérable au coproduit secondaire, utilisé en alimentation animale, en remplacement d’un autre aliment du bétail qui aurait généré , pour sa production, des coûts et émissions beaucoup plus faibles. Prétendre ensuite comparer les bilans des agrocarburants calculés de cette façon à ceux des carburants d’origine pétrolière relève, purement et simplement, de l’imposture.
Bio IS n’entérinera cette observation de bon sens, défendue par EDEN depuis 2005, que dans son projet de rapport final, discuté lors de la dernière réunion du CT, le 4 Mars (cf. ' Projet de rapport final Bio IS ' chapitre 7.3.1.2, pages 68 et 69). Bio IS propose ainsi de faire supporter exclusivement à l’éthanol de blé ou de maïs les coûts énergétiques et émissions générés par les étapes saccharification de l’amidon, fermentation du glucose et distillation de l’éthanol. Cette disposition invalide complètement les résultats publiés dans les études PWC (ADEME-DIREM 2002 et suivantes) sur les éthanol de blé et de maïs, de même que la proposition de directive européenne ' Energies Renouvelables ' publiée le 23 janvier 2008 (cf. ' Analyse de la proposition de directive Européenne… ' page 5 et l’annexe qui montre sur un exemple que la bonne application d’une méthode d’allocation des coûts et émissions selon un pro rata (massique, énergétique ou économique) conduit, dans le cas des éthanols de blé et de maïs, à multiplier par 2 leurs indicateurs effet de serre et consommation énergétique par rapport au calcul de l’allocation sortie distillation.
Curieusement, les éthanoliers n’ont pas contesté la proposition de Bio IS lors du CT du 4 mars. Seul le pathétique Etienne Poitrat a tenté de défendre ' son ' étude ADEME-DIREM 2002 : ' la distillation de l’éthanol permet de séparer l’éthanol des vinasses, il est donc légitime de leur imputer une part de ces coûts. ' Bio IS lui a répondu que l’énergie consommée lors de la distillation ( 15 MJ par kilo d’éthanol, selon ADEME-DIREM 2002, soit 56% de l’énergie restituée par l’éthanol lors de sa combustion complète) sert uniquement à vaporiser l’éthanol. Bio IS précise que cet aspect a fait l’objet d’une discussion avec Georges Alard (Téréos) , qui a validé cette façon de faire les calculs. Patrick Sadones ajoute qu’il est techniquement possible de sortir le ' non-amidon ' du grain avant les étapes du procédé industriel qui ne concernent que l’éthanol et ses précurseurs exclusifs. Le fait que par commodité les industriels préfèrent le laisser jusqu’à la distillation ne permet pas pour autant de lui faire supporter les coûts de ces étapes. Le Comité Technique valide donc la convention de calcul proposée par Bio IS.

Suspense… Les éthanoliers vont-ils se résigner à la défaite si rapidement ?
Le Comité de Pilotage ( les financeurs de l’étude : MEDAD, MAP, ADEME, IFP, ONIGC) se réunissait le 10 mars, pour recevoir la version définitive du rapport de Bio IS et décider de la suite à donner à l’étude. Le RAC-F, pour s’assurer que les débats tenus lors de la dernière réunion du CT, la semaine d’avant, ne restent pas lettre morte, adresse un courrier aux membres du CP (cf. ' Courrier aux membres du Comité de Pilotage de l’étude méthodologique sur les ACV des agrocarburants '). Ce courrier n’est honoré d’aucune réponse, le rapport final de Bio IS n’est pas publié, mais les deux représentants du RAC-F au CT reçoivent le 19 mars de Julien Turenne, Chef du Bureau Biomasse, Biocarburants et autres bioproduits, une invitation à participer , le 27 Mars, à la dernière réunion du COMOP 10 (Energies Renouvelables), réunion consacrée aux agrocarburants. Nous rédigeons alors une note sur l’étude Bio IS (cf. ' Courrier du RAC-F aux membres du COMOP 10… '), car nous pensons que les membres du COMOP 10, abreuvés, comme tout un chacun, par l’intense propagande menée depuis tant d’années par les partisans des agrocarburants, nourrissent quelques illusions quant aux possibilités de réduire significativement nos émissions de GES en remplaçant les carburants pétroliers par des agrocarburants. Ce courrier est envoyé le 23 mars.
Deux jours plus tard, nous recevons, comme toutes les personnes invitées à la réunion du 27 mars, et toujours de Julien Turenne, une note de synthèse sur l’étude Bio IS émanant du Comité de Pilotage ( cf. '  Note de synthèse du CP sur l’étude Bio IS '). Stupéfaction : nous nous demandons s’il s’agit bien de l’étude à laquelle nous avons participé ! La conclusion de cette note est en effet consternante : ' En conclusion, l’étude ADEME/IFP/MEDAD/MAP/ONIGC confirme que sur cette nouvelle base méthodologique, et en l’état actuel des connaissances, les gains énergétiques et de GES des biocarburants produits en Europe resteront significatifs et en tout état de cause, supérieurs au seuil d’éligibilité environnemental proposé dans le projet de directive européenne EnR (35%). Le plan biocarburant conserve donc une justification sur le plan de l’énergie et de la réduction des gaz à effet de serre. ' Evidemment, cette conclusion a été immédiatement reprise dans la presque totalité de la presse agricole.
Julien Turenne ayant accordé un rendez-vous au RAC-F le 26 mars, nous avons pu l’interroger sur cette surprenante note, et plus particulièrement sur trois points :
  • page 2, figure la phrase : ' 
  • La filière ETBE est prise en compte via l'étude de l'éthanol. ' Le projet de directive européenne ne propose d’ailleurs pas autre chose, l’indicateur effet de serre de l’ETBE se réduisant à celui de l’éthanol qu’il contient . C’est négliger le fait que la synthèse de l’ETBE, à partir de l’isobutène et de l’éthanol, consomme beaucoup d’énergie, 20% de l’énergie contenue dans l’éthanol selon l’étude ADEME-DIREM 2002, et par conséquent génère de substantielles émissions de CO², qui doivent être prise en compte pour le calcul du bilan de l’éthanol, de la graine à semer à la roue. Par ailleurs, des études commanditées par les producteurs d’ETBE montrent que l’incorporation d’éthanol en mélange direct dans l’essence engendre, au niveau des raffineries, à cause de la reformulation des essences spécifiques nécessaires à cette incorporation, des émissions de CO² encore supérieures… Monsieur Turenne, IGREF, déclare ne pas pouvoir répondre à cette question.
    • Page 3, il est dit que les facteurs de conversion N/N²O retenus par Bio IS ' sont légèrement plus élevés que ceux retenus dans l’étude ADEME-DIREM 2002 '. 1,33% du N épandu converti en N²O selon Bio IS, contre seulement 0,5% pour le blé et le colza dans ADEME-DIREM 2002… Julien Turenne convient que la formulation de la phrase est malencontreuse.

      • Concernant la formulation de la conclusion (voir plus haut) , nous faisons part de notre incompréhension : selon la méthodologie proposée par Bio IS, l’efficacité énergétique des éthanols blé et maïs sera en effet deux fois faible que celle calculée par PWC, et l’indicateur effet de serre deux fois plus fort . Julien Turenne nous apprend alors que les éthanoliers sont intervenus auprès du comité de pilotage, postérieurement à la dernière réunion du Comité Technique du 4 mars, pour remettre en cause la méthode de calcul proposée par Bio IS, et validée par le CT ! Nous lui demandons alors ce qu’a décidé le comité de pilotage. Julien Turenne déclare ne plus s’en souvenir précisément, mais qu ‘en tout état de cause les calculs conduits d’une façon ou de l’autre ne conduisaient pas à des résultats très différents, ce qui fait que le CP s’est permis de tirer la conclusion que nous contestons.
 
Nous aurons confirmation de cette version des faits dés le lendemain, lors de la réunion du COMOP 10. Suite à la présentation par le même Julien Turenne de la note de synthèse du CP ( l’orateur prend toutefois la précaution de préciser à deux reprises que cette note émane de l’ensemble du CP, qui en assume collectivement la paternité), le débat s’engage. Je prend la parole pour contester la note, en citant les trois points ci dessus. Sur le dernier point, le représentant de la Société Nationale des Producteurs d’Alcool Agricole, Alain d’Anselme, déclare sans ambages que les éthanoliers ont en effet fait une concession au CT , ' pour permettre à celui-ci d’avancer ', mais qu’ils ont ensuite été contester la décision prise devant le CP, l’objectif de la distillation étant à l’évidence de séparer l’éthanol des vinasses, il est tout à fait légitime de faire supporter à celles-ci une part des coûts de cette étape. Claude Roy monte lui aussi au créneau après la réunion pour faire valoir le même argument. Ce peut-il que cet argument ait plus de poids le 27 mars, dans la bouche de Messieurs Roy et d’Anselme, qu’il n’en avait le 4, dans celle d’Etienne Poitrat ?
Nous verrons bien ce qu’il restera de la proposition de Bio IS dans son rapport final… Le bureau d’études, qui réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaire avec l’ADEME, défendra-t-il son analyse face aux pressions du Comité de Pilotage ?
Compte tenu des informations que je possède sur l’usine Téréos de Lillebonne ( rapport de la DRIRE au Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques, en date du 23 Novembre 2007 et concernant le site de Lillebonne), il semble bien que les consommations énergétiques par kilo d’éthanol produit aient peu diminuées par rapport aux données trouvées dans le rapport ADEME DIREM pour l’horizon 2009 (cf. ' coûts éthanol de blé '). Le bilan énergétique de la graine à semer à la roue ( incluant les coûts d’incorporation de l’éthanol à l’essence) est vraisemblablement assez voisin de celui de l’essence, donc les bilans CO² sont également proches. S’ajoute pour l’éthanol l’effet de serre N²O, très significatif… Le bilan de l’éthanol de maïs est encore plus mauvais, à cause de l’irrigation de la culture, et le séchage du grain. L’éthanol de betterave supporte des coûts de culture moindre, mais est plombé par la nécessité de concentrer les jus de diffusion en sirops.
Les bilans de l’ester méthyliques sont certainement meilleurs, mais le passage de l’imputation massique à l’imputation au contenu énergétique dégrade fortement le bilan de l’huile, à cause de la forte différence de PCI entre l’huile (37,2 MJ par kilo) et le tourteau (12,1 MJ/kg) : efficacité énergétique de la production d’huile brute diminuée de 38%.
 
 
Patrick Sadones EDEN , Confédération Paysanne, le 29 Mars 2008

Publié dans Nature

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